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La guerre commerciale va rebattre les cartes des échanges céréaliers de l’UE et de la France

Donald Trump a annoncé le 2 avril des droits de douane « réciproques » sur les produits importés du monde entier, qu’il a ensuite suspendus pour 90 jours. L’UE avait prévu des mesures de rétorsion, notamment une taxation du maïs US, mais les a également suspendues jusqu’au 14 juillet.

Dans les mois qui viennent, la guerre commerciale lancée par les États-Unis risque d’impacter plus ou moins directement les importations européennes et les exportations françaises de céréales. Sans compter les incertitudes liées à la Chine, et aux relations avec l’Ukraine et l’Algérie.

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« Ça bouge vite, difficile de s’y retrouver ! », lance Benoît Piètrement, président du conseil spécialisé « grandes cultures » de FranceAgriMer, lors d’un point presse organisé le 16 avril : « Les taxations avec les États-Unis évoluent à une vitesse absolument faramineuse […]. Les incidences restent très mesurées sur le monde des céréales, mais les équilibres sont malgré tout en train de changer ».

La guerre commerciale lancée par Donald Trump génère beaucoup d’incertitudes. Entre revirements sur l’application des droits de douane US et ajustements des autres acteurs, difficile d’anticiper clairement les répercussions sur les marchés céréaliers.

« Le grand enjeu pour l’Union européenne, ce n’est pas tant les échanges directs avec les États-Unis, c’est plutôt comment le marché va se transformer entre les principaux pays partenaires des États-Unis sur les céréales », analyse Julie Garet, cheffe de l’unité Grains et sucre de FranceAgriMer.

Car l’UE n’est que le quatrième fournisseur des États-Unis en céréales, représentant 7 % de leurs importations en valeur sur les cinq dernières campagnes, après le Canada (43 %), la Thaïlande (22 %) et l’Inde (12 %). Côté exports, elle ne représente que 1 % des débouchés des États-Unis, loin derrière le Mexique, la Chine et le Japon (respectivement 24 %, 18 % et 14 %).

+ 2 200 % d’importations de maïs US par l’Union européenne

Ces dernières campagnes, l’UE (surtout l’Allemagne et la Pologne) exportait entre 250 000 t et 800 000 t de céréales vers les États-Unis et elle en importait 500 000 t à 1,2 Mt (surtout l’Italie et l’Espagne). Mais tout a changé sur 2024/25 : à sept mois de campagne, les importations européennes de céréales US dépassent les 2,3 Mt, portées par une explosion des achats de maïs : + 2 220 % d’une campagne à l’autre !

La politique douanière américaine risque bien d’influencer cette dynamique et de faire refluer les imports de maïs US. Sachant que dans l’équation… il y a aussi l’Ukraine. Au 8 avril, elle était le premier fournisseur de maïs de l’UE (57 % des importations). Les États-Unis occupaient la 2e position (18,5 %), suivis par Brésil (11,8 %).

Or, alors qu’elle avait plafonné en 2024 les volumes importés d’Ukraine et exemptés de droits de douane, l’UE doit négocier dans les semaines qui viennent les suites à donner à cet accord, qui expire le 5 juin. « On est dans l’attente, la Commission a annoncé qu’elle allait faire des propositions, mais on n’a pas d’informations », observe Julie Garet.

La situation avec les États-Unis d’un côté et avec l’Ukraine de l’autre pourrait pousser l’UE à se tourner davantage vers le Brésil. « Cela reste très dépendant des évolutions de la politique américaine et des besoins européens », note-t-elle avec prudence. « Le maïs brésilien sera compétitif, avec une récolte record de 123 Mt, dont 38 Mt destinées à l’export », précise Alejandra Linares, chargée d’études économiques à FranceAgriMer.

Impact sur les exportations françaises

Quel sera l’impact de cette guerre commerciale sur les exportations françaises ? Par exemple, l’escalade des tensions entre la Chine et les États-Unis pourrait-elle booster les achats de céréales hexagonales par l’Empire du milieu ?

« C’est une option, mais il y en a d’autres : tout va dépendre de comment va se réagencer le marché, de comment ça va se passer avec les autres pays, notamment le Canada, répond Julie Garet. Il y a trop de paramètres différents. C’est certain que ça va rebattre les cartes, mais dans quelle mesure et de quelle manière ? Difficile à dire. »

Habasse Diagouraga, chargé d’études économiques, rappelle que la Chine s’était tournée vers l’orge française sous le premier mandat de Trump. Mais depuis, les relations sino-australiennes se sont réchauffées, et l’Australie, proche géographiquement, reste un fournisseur privilégié.

Pour l’heure, FranceAgriMer a réajusté ses prévisions d’exports pour la campagne en cours. En blé, les exportations vers les pays tiers ont été abaissées de 100 000 t, faute de demande de l’Algérie et de la Chine. En revanche, celles vers les pays de l’UE ont été relevées de 145 000 t, tirées par les ventes dynamiques vers l’Espagne, le Portugal et la Belgique.

Dégradation des relations entre la France et l’Algérie

Côté orge, le retour aux achats de l’Arabie saoudite, de la Jordanie, de la Tunisie et de la Libye ont permis de réhausser de 50 000 t les prévisions d’export vers les pays tiers. Et pour le maïs, FranceAgriMer remonte de 31 000 t son chiffre vers l’UE, notamment vers l’Allemagne et la Pologne, « en raison de la forte présence de mycotoxines ».

Au-delà des impacts possibles de la guerre commerciale, la dégradation des relations diplomatiques entre la France et l’Algérie amène son lot d’incertitudes pour les mois qui viennent.

« En 2024/25, l’Algérie était absente, mais on n’avait pas la matière première à exporter. Si on retrouve une récolte correcte en quantité et en qualité en 2025, et que l’Algérie ne revient pas dans les clients, ça posera question » pour la campagne 2025/26, souligne Benoît Piètrement : « il y a une vraie crainte des opérateurs au sujet des marchés vers lesquels on exportera ».

D’autant plus que les achats venant des pays d’Afrique subsaharienne sont eux aussi plutôt limités : sur la campagne en cours, « on observe une baisse de 45 % sur huit mois par rapport à l’an dernier, note Habasse Diagouraga. Et on doit faire face à la concurrence de la Russie… ».

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